Dans les semaines qui ont suivi le rachat de Twitter par Elon Musk, fin octobre 2022, le nom d’un réseau social a vite circulé : Mastodon.
Ce réseau, qui n’a pas de but lucratif, donne le ton sur sa page d’accueil : « Un réseau social qui n’est pas à vendre ». Il a connu un tel écho que Twitter a banni le compte officiel de Mastodon et bloqué tous les liens pointant vers ses serveurs. Officiellement, Twitter a bloqué un grand nombre de services tiers pour des raisons de sécurité. On peut toutefois en douter au regard des frasques de son nouveau patron, le milliardaire à la tête de Tesla et de SpaceX.
Elon Musk aurait-il raison de se méfier de Mastodon ? En tant que formateur réseaux sociaux, je vous propose d’étudier la question avec un peu de recul.
Créé en 2016 par l’Allemand Eugen Rochko, Mastodon est un réseau social distribué qui permet aux utilisateurs de créer des comptes et de publier du contenu (textes, photos, vidéos, etc.) sur des « instances » (des serveurs) hébergées par des individus ou des organisations.
Tout comme Twitter, les utilisateurs peuvent suivre du contenu publié par d’autres utilisateurs et interagir avec eux en « likant » et commentant leurs publications.
Un des principaux avantages de Mastodon, c’est qu’il est open source, ce qui signifie que tout le monde peut l’utiliser, le modifier et le déployer sur son serveur sans avoir à payer de licence. C’est pourquoi chaque instance de Mastodon peut être configurée indépendamment et peut avoir ses propres règles de modération. Cela permet aux utilisateurs de choisir l’instance qui correspond le mieux à leurs préférences et à leurs valeurs.
Mastodon est souvent considéré comme une alternative à d’autres réseaux sociaux centralisés comme Facebook ou Twitter, car il permet aux utilisateurs de contrôler plus finement leur expérience sur le réseau et de protéger leur vie privée.
Mastodon s’inscrit dans une tendance émergente depuis 2020 qu’on appelle le “dark social”. Le dark social désigne l’ensemble des interactions sur les réseaux sociaux qu’on ne peut pas voir publiquement et qui ne peuvent pas être mesurées précisément. Ces échanges sont pour la plupart effectués par mail ou à travers des services de messagerie comme WhatsApp ou Messenger, ou d’autres avec une dimension plus communautaire comme Slack ou encore Discord.
À chaque fois, on retrouve des espaces d’échange communautaire dans des groupes semi-privés. Cette tendance de fond s’observe particulièrement depuis le premier confinement de 2020. Une récente étude du Blog du modérateur sur la génération Z (les 18-25 ans) va d’ailleurs dans ce sens. On peut y lire que 78% des jeunes adultes utilisent les réseaux sociaux pour discuter avec leurs amis. Il y a donc un réel besoin de communication privée et plus humaine.
Un des réseaux les plus emblématiques de cette tendance du dark social est Clubhouse. Son succès éphémère était principalement dû à son côté exclusif puisque l’entrée sur ce réseau se faisait uniquement sur invitation. À l’instar d’un club à la mode, beaucoup veulent en être mais il y a peu d’élus.
Cette idée de proximité se retrouve dans une approche marketing plus globale. Adidas, par exemple, utilise WhatsApp pour son service client. La marque a même créé des groupes spéciaux pour proposer à ses clients un accès exclusif à des actualités ou des événements de la marque.
Cela peut aider à améliorer le sentiment de proximité avec l’entreprise ou l’organisation et ainsi fidéliser des clients. Dans le secteur des technologies ou du jeu vidéo par exemple, on assiste même à des dynamiques d’amélioration des produits et des services via les retours de la communauté de clients sur des réseaux comme Discord ou Slack. Mastodon peut clairement s’intégrer dans ce mouvement communautaire avec son système d’instance.
Si des applications comme Discord ou WhatsApp obligent à naviguer d’une conversation ou d’un serveur à un autre, Mastodon a un atout. Là où les plateformes classiques ont tendance à enfermer dans une bulle, Mastodon permet à l’utilisateur de fédérer ses différents cercles d’intérêt (ici, les différents serveurs Mastodon) dans un ou plusieurs fils.
Ainsi, une communauté Mastodon centrée sur un produit ou un service n’enfermerait pas l’utilisateur. C’est pourquoi certains parlent de Fediverse en opposition aux propositions de Métavers, bien plus centralisateur et fermé qu’on ne le pense, actuellement poussé par Meta, la maison mère de Facebook.
Comme dit précédemment, Mastodon est un réseau social distribué, ce qui signifie qu’il y a de nombreuses instances différentes et que chaque instance peut avoir ses propres règles et politiques de modération. Il est donc important de respecter les règles et les normes de chaque instance lors de l’utilisation de Mastodon pour le marketing. C’est pourquoi son utilisation semble difficile sur une instance que l’on n’a pas créée soit même.
Autre problème plus gênant : sa faible utilisation ! Si le nombre d’utilisateurs de Mastodon a été multiplié par 8 depuis l’arrivée d’Elon Musk chez Twitter, la taille de l’audience reste incomparable. Là où Mastodon comptait 2,5 millions d’inscrits en décembre 2022, Twitter en avait 217 millions chaque jour. Il faudra du temps pour que l’éléphant dépasse l’oiseau bleu… Il paraît peu probable que Mastodon bénéficie d’effet de réseau. Comprenez, si tout le monde est sur Twitter, alors tout le monde va sur Twitter. L’inverse semble vrai sur Mastodon : si personne n’est sur le réseau alors pourquoi y aller ?
Enfin, créer et gérer une communauté prend du temps. Pour créer une communauté, il faut une raison, un but ou une récompense qui vient valoriser d’une manière ou d’une autre l’engagement de l’internaute. Cela nécessite un investissement très différent de celui qu’on peut avoir sur les réseaux sociaux. Si un internaute peut suivre, liker ou partager vos publications, son engagement ne sera peut être pas le même au sein d’une communauté, que ce soit sur Mastodon ou sur un autre réseau. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une stratégie spécifique à la création d’une communauté.
Pour ces trois raisons, l’usage de Mastodon pour sa communication de marque semble peu judicieux à moins d’avoir du temps et une audience particulièrement technophile sensible aux logiciels libres ou aux questions de vie privée sur le web.
À l’heure d’écrire ces lignes, il reste difficile de dire si Mastodon a une chance de devenir une véritable alternative à Twitter. Bien qu’il présente certains avantages par rapport à Twitter, Mastodon ne constitue pas encore une menace significative pour son grand concurrent. À suivre…
Pour rejoindre ou créer vos communautés, je peux d’ores et déjà vous conseiller de vous pencher sur les solutions comme WhatsApp, Discord ou Slack.